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19/01/2015

Mauvais garçon, de Laurent Bettoni

mauvais_garcon.jpgUne chronique d'Albertine.

Voilà un roman qui se lit vite, en premier lieu parce qu’il est écrit de façon linéaire, les personnages existant uniquement en fonction de l’histoire racontée, et déploient leur logique implacable  et attendue ; en second lieu parce qu’il accroche assez vite notre attention, en ce moment troublé par les déviances meurtrières de jeunes extrémistes.

 Le héros Thomas est un «petit blanc » de banlieue qui veut s’en sortir, joue le pari des diplômes en travaillant durement, et qui se heurte à la barrière sociale lorsqu’il croit pouvoir postuler à une place méritée.

Gentil, mais fou d’ambition à force de ne pas vouloir subir le triste destin de ses parents looser, il ne le sait pas au début, mais il est prêt à (presque) tout pour s’en sortir, y compris être un « bad guy ». La rencontre d’un de ses professeurs, grande figure charismatique va déclencher le processus : avec lui, Thomas va enfin pouvoir manifester son talent intellectuel et sa révolte contre une injustice de vie qu’il ne supporte pas. Il suffira que, jouissant de la confiance de ce quasi gourou, Thomas soit initié par ses soins au « darknet », monde parallèle sur l’internet à l’abri des contrôles policiers et gouvernementaux, qui autorise le déploiement de tous les sites les plus glauques, et relie en une communauté souterraine les plus mauvais garçons de l’époque, pratiquant deal, trafic d’armes, coups de main, et toutes perversités imaginables. Là, il pourra enfin faire la preuve de sa véritable valeur.

 Comment un jeune homme se raccrochant à tout ce qui peut lui permettre d’émerger, d’exister, d’avoir une valeur sociale, peut en arriver à suivre une voie qui a priori n’est pas la sienne : cette thématique est bien d’actualité. Ce récit montre comment (et pourquoi) on apprend très vite la clandestinité,  la dissimulation, la double vie. Comment des actes terrifiants deviennent très vite des stimulants, parce que interdits et commis entre soi. Thomas embrasse très rapidement une idéologie d’extrême droite fustigeant les races inférieures, les étrangers et profiteurs de tous acabits, il en devient la plume, le héros. Il en tire fierté et force, il s’engage sans restriction dans les relations qui se nouent autour de ses articles, notamment avec la jeune Bitchy ; et dans le monde parallèle qu’elle lui fait découvrir, où cohabitent drogue, trafics en tous genres et coups de main.

 Laissons le lecteur découvrir le dénouement d’un récit rapide, efficace, qui ressemble plus à un synopsis de film qu’à un roman, avec des personnages réduits à l’expression de leur destin, sans réelle épaisseur romanesque. Les personnages secondaires sont esquissés avec justesse mais restent quelque peu fantomatiques. Mais cette écriture est bien adaptée au sujet traité : plus rien n’existe hors ce parcours de rédemption du héros, et tout va très vite.

 L’intérêt de cet ouvrage, en ce début 2015, est le parallèle  que nous faisons en le lisant, entre l’accès d’un jeune paumé de banlieue dans des réseaux d’extrême droite et de trafic, et l’entrée dans des réseaux djihadistes de jeunes musulmans non moins paumés. Le cheminement du héros est en tout cas crédible et souligne cruellement que le modèle méritocratique de l’école a ses limites, voire suscite des réactions de rancœur violente lorsque ses promesses ne sont pas tenues. Non l’école n’est pas seule responsable des dérives noires au sein de la société.

 Par ailleurs, ayant lu récemment le roman de Stéphanie Aten (« la 3° guerre ») je ne peux éviter de faire un autre parallèle : comment internet outille les communautés qui se constituent, celle des altermondialistes luttant pour un monde plus juste, et celle des « bad guys » pour un monde préservé de toute …altérité. L’outil n’est qu’un outil, il sert des fins dans ce cas opposées, entre un monde noir et un monde lumineux, un monde de haine et un monde d’amour et compassion.

Le parallèle s’arrête là, car le roman de Stéphanie Aten tient sa promesse de roman, et nous fait entrer dans l’intimité et la complexité de ses personnages, ce qui n’est pas le cas ici.

 Mais n’hésitez pas à lire « mauvais garçon » : vous y apprendrez des choses surprenantes sur certaines pratiques « noires » de la société et la pénétration dans le darknet (1)

Et merci au fils de l’auteur de l’avoir initié à ce monde souterrain d’internet.

  (1) . Le darknet a ses règles : anonymat,  confiance (entre les internautes branchés sur le même réseau) ; il apporte « la tranquillité et l’absence de censure » : il suffit de disposer des « liens utiles qui renvoient à des tutoriels pour installer Tor, un VPN et les clefs PGP ».  Ces symboles d’un monde secret donnent au moins l’impression d’être parmi les  initiés (à quelque chose !). « (Thomas ) adorait au fond tous ces gadgets inhérents au Darknet : messagerie cryptée, noms de code, téléphones sécurisés ».

 

Albertine, Marseille, 18 janvier 2015

 Mauvais garçon
Laurent Bettoni

Ed. Don quichotte